Comme l’écrit le poète espagnol José Ángel Valente (1929-2000) dans l’« auto-lecture » en postface à son recueil de 1980, « les textes de Trois leçons de ténèbres tirent leur origine de la musique. D’abord, et avant tout, des leçons de Couperin. Ensuite, de celles de Victoria, de Thomas Tallis, de Charpentier, de Delalande. Du lent dépôt de ces compositions se dégagea peu à peu, se forma peu à peu un principe de base unique, un mouvement originaire, ce mouvement qui sous-tend toute progression harmonique et que l’on a justement appelé Ursatz. »
De la musique à la poésie, et de nouveau à la musique, Valente trace pour le compositeur l'itinéraire à suivre entre les quatorze textes de ce recueil entendus « comme quatorze variations sur le mouvement originaire que libèrent les quatorze premières lettres (qui, bien entendu, sont lettres et nombres) de l’alphabet hébreu. » Et encore: « La création dépendrait de la mesure dans laquelle le compositeur peut faire converger (par tâtonnements et attente) sa propre énergie avec l'Ursatz. Ce qu’en musique on appelle variation serait, de ce point de vue, un mode de méditation créatrice sur le mouvement originaire, sur une forme universelle. »
La pièce que je souhaiterais écrire d'après les textes de Tres lecciones de tinieblas se rattachera donc à l'histoire de ce genre musical liturgique créé en France au XVIIe siècle, destiné au premier des trois nocturnes qui accompagnent chaque office des Ténèbres. Disparaissant dans la première moitié du XVIIIe siècle, il fournit un thème lyrique souvent évoqué en littérature jusqu'à nos jours.
Cette composition sera pour chœur symphonique (minimum 24 éléments, nombre idéal 32) auquel s'intégrera un traitement électronique en temps réel et en temps différé.
L’électronique permettra d’ajouter au chœur réel - organisé à 3, 4, 5, 6, 7, 8 parties réelles - un chœur virtuel de façon subreptice, fantomatique, ou bien totalement envahissante, selon deux modalités principales :
- 1 en agissant dans le même espace que le chœur réel (densification/saturation harmonique-polyphonique ou bien filtrage spectral) ;
- 2 en agissant dans un autre espace ou dans plusieurs espaces que le chœur réel (effets de répons, miroir, écho, masquage, illusion acoustique).
Dans le premier cas, pour l'électronique il s'agira de temps réel à partir d'une captation de groupes (S-Ms-A-T-Bar-B), d’un soliste pour chaque tessiture, et d’une captation générale de l’ensemble du chœur ; il s’agira aussi de temps réel simulé (déclenchements d'un bon nombre d'échantillons préenregistrés de la même formation). L’objectif sera de multiplier les voix solistes, les groupes, et même le chœur entier.
Dans le second cas, pour l'électronique il s'agira de temps réel sur une captation générale, et sur captations par sections. L’objectif sera de spatialiser, de filtrer et de démultiplier le chœur.
Les résultats de ce traitement se répercuteront sur une sorte d’ensemble instrumental virtuel, créé par l’électronique en développant des structures sonores de synthèse, qui agira comme environnement récepteur conditionné par l’ensemble des masses chorales (réelles et virtuelles) en interaction. De façon plus ponctuelle, à cet « orchestre de synthèse » sera également confié le rôle « traditionnel » de soutien des voix, d’accompagnateur ou d’interlocuteur dialogique du chœur lors de sections responsoriales qui pourront entrecouper le flux musical et qui seront basées sur un traitement a cappella des voix.
La durée de cette pièce sera de 35 minutes environ.
Les partenaires de ce projet sont le SWR Vokalensemble Stuttgart et l’IRCAM (Thomas Goepfer, en qualité de réalisateur en informatique musicale).